Tiens-toi bien à table


Tiens-toi bien à table


Les manières de table sont des usages que l’ancienneté ou la fréquence ont rendu normaux et contraignants, « insidieusement contraignants » comme disent les sociologues, pour les distinguer des pratiques dites « brutales », du genre esclavage ou prison.
Ces usages valent dans une société donnée, dans une classe sociale ou un groupe donné, et à une époque donnée. Ils constituent la politesse de table que Furetière définit comme « une conduite honnête, civile et agréable dans les mœurs et dans la manière d’agir », définition dont chaque terme souligne involontairement la relativité dans le temps et dans l’espace.
Quelle est la raison d’être de ces usages ? Comment se sont-ils établis ?
Afin de tenter de répondre à ces questions, il a fallu se rendre à l’évidence : seuls ceux qui pouvaient manger régulièrement (c’est à dire ceux qui avaient les moyens) ont pu, tout au long des siècles, faire évoluer les manières de table, et faire apparaître, petit à petit, de nouveaux instruments, de nouvelles habitudes…

Sous l’Antiquité Romaine

On observe l’un des premiers exemple tangibles d’organisation de la table, et les nombreuses découvertes archéologiques, entre autre à Pompéi et Herculanum, confirment à quel point les Romains avaient déjà poussé loin le raffinement et l’art de la table.
Chaque convive apporte sa propre serviette qui lui permettra, à la fin du repas, d’emporter les cadeaux offerts par l’amphitryon ainsi que des reliefs du repas.
Les villas romaines disposent d’une pièce spéciale pour prendre les repas : le triclinum du nom des banquettes à trois places où l’on s’étend pour le repas, sur les trois côtés d’une table carrée.
Les premiers couverts apparaissent déjà : les couteaux sont en or et en fer ; deux sortes de cuillers sont utilisées : la ligula, cuiller très allongée, et la cochlea cuiller au manche pointu servant à percer la coquille des œufs pour les gober ou pour dénicher les mollusques au fond de leur coquillage. On trouve aussi des cure-dents  en os ou en ivoire.
L’hygiène est de rigueur : des aiguières d’eau parfumée permettant aux convives de se laver les mains avant, pendant et après le repas qui se prend avec doigts pour la majorité des mets.

Au moyen âge.

A cette époque, seuls les monastères disposent d’une vraie « salle à manger » : le réfectoire, où les moines prennent leur repas en commun en écoutant la lecture de textes sacrés.
Dans les châteaux, la table faite de planches posées sur des tréteaux, est « dressée » selon l’inspiration, la saison, le rang de l’invité, dans la cuisine, le jardin, dans une salle quelconque du château…
Les convives sont placés d’un seul côté de la table afin de pouvoir profiter au mieux des attractions « d’entremets ».
La table est recouverte d’une nappe plissée en godets creux ou en reliefs, recouverte d’un doublier, deuxième nappe blanche pliée sur laquelle les convives s’essuieront après avoir mangé avec leurs doigts.
Chaque convive dispose d’un tranchoir, planchette ronde ou rectangulaire en bois, en étain ou en argent, sur lequel on pose un morceau de pain d’une épaisseur de 5 cm environ (le tailloir). Les convives se servent, avec leurs doigts, d’un morceau de viande dans le plat proposé, puis posent sur le pain. Ce pain, imbibé de sauce, n’est généralement pas consommé à table ; il est déposé dans le « pot à aumônes » et ira aux valets ou aux pauvres à l’issue du repas.
Le couteau est l’instrument le plus utilisé, sa lame est pointue. Les écuelles (pour légumes, soupes, ragoûts,..) sont placés entre les tranchoirs, une pour deux convives, afin de décourager les éventuelles tentatives d’empoisonnement, méthode fort prisée à l’époque. Le  vin est servi, en hanap, vase à boire sur pied, souvent muni d’un couvercle, et servant à tous les convives.
Sur le sol, on trouve des herbes odorantes ou des fleurs coupées pour égayer le décor et… pour camoufler les odeurs.

A la renaissance…

Il n’y a toujours pas de pièce spécifique pour prendre les repas, mais on décore de tissus et tentures la salle choisie.
La place réservée à l’invité de marque est protégée par un dais, et les convives sont tous placés au même côté de la table pour faciliter le service et mieux profiter des divertissements.
Les serviettes font leur apparition, pliées en forme d’oiseau, de papillon ; elle sont toujours très grandes et permettent de protéger les fraises que l’on porte autour du cou.
On trouve toujours les même objets sur table, et l’une des nouveautés réside en l’utilisation des verres italiens.
Les fourchettes introduites par Catherine de Médicis et présentes à la table de son fils Henri III, ont reçu un accueil plus que mitigé, car elle sont utilisées par plusieurs personnes et on les juge malpropres. De plus, elle sont incommodes, car à deux dents très longues (du même type que les fourchettes à rôti utilisées de nos jours en cuisine). Leur usage ne se génaralisera vraiment qu’à la fin du XVIIIe siècle.
A propos de la fourchette, Venise serait au XIe siècle le lieu où, ordinairement, l’on pense qu’en serait apparu l’usage. Tournée vers l’Orient, Venise est alors au carrefour de toutes les influences et de toutes les aventures.
L’afflux des richesses introduit dans la cité lacustre un luxe oriental encore inimaginable pour le reste de l’Europe. Le doge Dominico Silvio, marié à une princesse byzantine, donne le ton dans une société avide de connaître ces merveilles importées de pays lointains. Parmi les nombreuses fantaisies inventées dans le but d’étonner les invités, il arriva, un soir de banquet, que l’épouse du doge utilise pour se servir à table un objet bizarre : une fourchette ! Bien qu’apparaissant ici et là de façon exceptionnelle, il faudra donc attendre la Renaissance pour voir la fourchette apparaître comme un accessoire du service.
L’assiette, plat rond et creux disposé devant chaque convive, tenant lieu à la fois d’écuelle pour les préparations en sauce et de tranchoir pour les rôtis, demeure l’élément essentiel de notre couvert actuel à figurer sur nos tables. L’étymologie même de ce mot nous l’indique : l’assiette, qui signifie à l’origine les assis, marque l’emplacement de chaque personne assise. On découvre aussi la faïence italienne (de Faenzas) qu’on utilise pour fabriquer plats, cruches et pichets.
Au centre de la table, on trouve la nef, coupe en or ou en argent, forme de vaisseau qui renferme les denrées précieuses : sel, poivre, épices…
L’apparition  du sucre de canne permet la réalisation de décors de table.

Au 17e siècle…

Les chaises commencent à remplacer les bancs d’autrefois. Ma mise en place de la table est sobre : nappe blanche repassée en carré, serviettes pliées simplement, couvert individuel (couteau et fourchette à 3 dents) parfois en étui, assiette et gobelet en étain à fort taux d’argent. Mazarin contribuera au développement de l’assiette creuse qui ne s’imposera qu’au milieu du XIXe siècle. La lame du couteau d’arrondit : la légende veut que Richelieu ait imposé cette modification après avoir vu le chancelier Séguier se curer les dents avec la pointe de son couteau, mais il semble plutôt que l’usage de la fourchette se généralise, les convives n’ont plus à piquer avec la pointe du couteau pour déguster les mats.
A la fin du XVIIIe siècle, sous l’impulsion de Louis XIV, on assiste à un essor de l’orfèvrerie (on fabriquera même des meubles en argent). On note aussi l’apparition du couvert au sens strict du terme (c’est à dire cuiller et fourchette du même modèle), le tout posé à droite de l’assiette, à portée de la bonne main. La fourchette ne sert encore que du plat à l’assiette ; on utilise les doigts pour porter à la bouche, mais les collerettes et autres attributs vestimentaires encombrants viendront vite à bout ce cette fâcheuse habitude.
La nef est remplacée par le dormant, plateau à étages garni de flacons d’épices, de fruits… les plis de la nappe disparaissent à la fin du XVIIe siècle, et l’on prend l’habitude de fleurir la table avec des fleurs naturelles ou en soie (Paris devient la capitale de la fleur artificielle). Les serviettes, quand elles ne sont pas placées sur table, sont présentées aux convives sur un plateau par des valets.

Au 18ème siècle…
  • On note l’apparition de le faïence de Moustiers, qui permet d’obternir des articles très fins aux décors bleus très caractéristiques.
  • La fourchette se dote enfin de quatre dents et reste toujours placée à droite de l’assiette avce le couteau et la fourchette.
  • Vers le milieu du siècle, le couvert est très souvent retourné, dents de la fourchette et cuilleron vers le bas, face bombée en haut, la noblesse tenant beaucoup à ce que l’on voit très distinctement son monogramme.
  • Les fourchettes se plaçaient jadis en France pointe contre la nappe car le monogramme du propriétaire était gravé sur le dos des couverts (même règle pour les cuillers). En Angleterre, on plaçait les couverts à l’envers car le monogramme était gravé à l’intérieur des couverts.
  • La révolution va remettre les choses dans le bon sens…

Au 19ème siècle
  • La révolution ayant aboli les privilèges, la noblesse n’a plus les moyens de faire évoluer de façon notable les habitudes de table. Par ailleurs, les cuisiniers qui officiaient pour la noblesse ont des velléités d’indépendance et l’on note l’ouverture et le développement des premiers restaurants (Beauvilliers, Baleine, Robert, Méot).
  • C’est la naissance de la gastronomie française qui se manifeste par la multiplication des revues de littérature gourmande (Brillat-Savarin, Grimod de la Reynière, Charles Monselet).
  • Les appellations culinaires deviennent systématique dans la grande cuisine.
  • Le service à la Russe remplace progressivement le service à la Française : les mets sont découpés  en cuisine, dressé sur des assiettes puis servis en salle.
  • Ce sont désormais les restaurants qui vont faire évoluer les habitudes de table.

Au 20ème siècle… et en route vers le 3° millénaire

Aujourd’hui, l’évolution de nos manières de table semble se poursuivre sans discontinuer.
Ainsi voit-on sous nos yeux la tendance que prennent les repas à se décaler de plus en plus tard dans la journée.
Le dîner qui se consommait vers dix heures du matin au Moyen Age, à midi sous l’Ancien Régime et à sept heures encore sous le Second Empire tend, à Paris, remplacer l’ancien souper et se consomme couramment après vingt heures trente.
Le service à la russe, en proposant le même plat à tous les convives avait apporté, dans le prolongement de la Révolution française, une plus grande unité et une égalité totale entre les convives. Ce service à la russe est en train de se simplifier à son tour. Les entrées commencent à disparaître des menus bourgeois tandis que l’ordinaire de personnes plus modestes se contente souvent de déjeuner sans hors-d’œuvre. La formule du menu rapide composé d’un plat, de son accompagnement et parfois encore d’un dessert, est en train de faire des émules chez bien des restaurateurs.
Les enfants, à l’école du fast-food, s’initient ainsi de bonne heure à l’absorption rapide d’un ersatz de déjeuner, étape préparatoire au plateau-télé.
Cette évolution pourrait permettre d’imaginer la disparition prochaine de nos manières de table si le repas pouvait se réduire à un simple acte alimentaire. Mais la table est, et restera encore longtemps, un acte social empreint de convivialité autant qu’un acte nutritif.
Un avenir cauchemardesque était pourtant bien gestation dans l’alimentation des cosmonautes soviétiques dont l’ordinaire spatial strictement et parfaitement fonctionnel répondait en 1982 aux critères suivants : « La ration bien composée permet de satisfaire les besoins de l’organisme, de maintenir l’aptitude au travail et de ménager la santé des cosmonautes ».
Cependant, les Français qui, avec Jean-Loup Chrétien, participèrent à cette mission de conquête de l’espace, emportaient avec eux d’autres objectifs quant aux menus orbitaux : « participer pleinement à tous les aspects d’un vol habité et apporter des éléments de confort psychologique ». Ce retour en force de la notion de « confort psychologique » ne réclama pas moins, pour l’occasion, que des crèmes de crabe, des pâtés au poivre vert pour se poursuivre avec des civets de lièvre et des langoustes à l’Armoricaine.
Ainsi, plutôt qu’à une disparition prochaine des arts de la table, il faut s’attendre à une renaissance. Du XVIIIème au XIXème, les décors de milieu de table s’appauvrissent au point d’être proscrits par les civilités.
Avec la réhabilitation d’un art de vivre, qui prend en compte tous les aspects de la vie domestique, il y a aujourd’hui de nouveau place pour une esthétique de la table que les décorateurs, cristalliers, porcelainiers et fabricants de linge de maison s’emploient à recomposer au fil des expositions consacrées aux services actuels.
L’art de recevoir et de préparer des menus n’est donc pas prêt de disparaître.




Clarifions le langage...

L'enseignement hôtelier "classique" continue à répertorier trois grandes méthodes de service : " le service à la française", " le service à l'anglaise" et " le service à la russe", dit aussi "service au guéridon".
Cette classification date du Traité de l'Industrie Hôtelière de Leospo (éd. Audran - 1918), et a été reprise par P. Mazzetti, M.L. Francillon et J. Guillemot dans Technologie de Restaurant (éd. Lanore - 1968) ; elle continue d'ailleurs à être utilisée dans des ouvrages plus récents.
  • Pour ces auteurs, le service à la française consiste à présenter un plat au convive par la gauche en le laissant se servir à l'aide d'un couvert préalablement déposé sur le plat.
  • Dans le service à l'anglaise, le serveur sert lui-même chacun des convives "en tenant la cuiller entre l'index et le médium, la fourchette entre le pouce et l'index" (R. Armisen, J. Koscher, A. Martin, J. Potfer "Le Guide du Service à Table" éd. Istra - 1982), c'est à dire en formant une pince.
  • Pour réaliser le service à la russe, on présente tout d'abord le plat aux convives, pour qu'ils puissent juger de la qualité de la préparation et de sa présentation ; il est ensuite déposé sur un guéridon, proche de la table, à la vue des convives. Le serveur garnit ensuite les assiettes qui sont disposées au fur et à mesure devant chaque personne.
Ces termes ne correspondent en fait qu'à la pratique de l'hôtellerie de palace du début du XXe siècle, et ne sont, en définitive, que des sous-catégories du "grand service à la russe" qui, au milieu du XIXe siècle, se substituera au "grand service à la française".
Celui-ci, dont l'origine remonte au Moyen-Age, et qui atteindra son apogée sous le règne du Roi Soleil, Louis XIV, n'a rien de commun avec ce que les restaurateurs du XXe siècle entendent sous ce terme.

Le Grand Service à la Française

Prenons l'exemple du repas réalisé par Massialot (1660-1733, cuisinier originaire du Limousin, auteur de "le Cuisinier Royal et Bourgeois") et servi le 15 février 1691.
Suppose qu'on veuille faire une Table de douze Couverts, on peut servir à chaque service, un bassin au milieu, quatre moiens plats, et quatre hors-d'œuvres ; par exemple :
Premier Service
Potages et Entrées Deux Potages : un moien plat d'une Bisque de pigeons, et l'autre d'un chapon aux racines. Les deux autres moiens plats pour entrées ; l'un de pâté de perdrix chaud, et l'autre de Poularde aux truffles, garni de fricandeaux La grande Entrée Sera de deux ros de Bif, garnis de côtelettes de veau mariné frites, un dégoût par-dessus, pour le bassin du milieu. Pour les Hors-d'œuvres Un Poupeton de Pigeons. Un plat de Cailles à la braise. Un de Poulets farcis, coulis de champignons. Un de perdrix, sausse à l'Espagnol.
Second Service
Le Rôt Sera composé de deux moiens plats. L'un d'un petit Dindon, garni de Perdrix, petits Poulets, Bécasses et Mauviettes. Et l'autre d'un quartier d'Agneau garni de même. Pour l'entremets Une tourte de crème pour le bassin du milieu, garni de feuillantine, de fleurons et de beignets au lait. Les deux moines plats ; l'un d'un Pain de Jambon, garni de petites rôties et de pain de Citron. Et l'autre de Jambon et autre Salé Les Hors-d'œuvres Seront ; l'un, d'un Blanc-mangé. L'autre de Foies-gras. Le troisième, d'Asperges en salade. Et le quatrième, de Truffles au court-bouillon.
Troisième Service
C'est le Fruit et les Confitures, dont on se dispensera de parler, parce que c'est une affaire d'Officier, plutôt que de Cuisinier
Il s'est donné un semblable Repas le 15 février 1691, chez Monsieur le Duc de Chartres, à Mademoiselle
  • Les "services" cités ici sont trois temps bien précis du repas ; ces longues énumérations de plats ne sont pas des présentations successives de mets à chaque convive, comme nous pourrions le faire actuellement ; c'est l'ensemble des plats qui garnissent la table. Tous sont présentés simultanément et se répartissent sur la table en ordre très précis. Lorsqu'ils ont été plus ou moins consommés, ils sont débarrassés et ceux du second service leur succèdent. Il va de soi que chaque convive ne mange pas de tous les plats, et si jamais il le souhaitait, ce que la technique du service à la française permet, il n'en consommerait pas l'équivalent de ce que nous appelons une portion, mais en prendrait plutôt quelques bouchée

  • Chaque service a le même nombre de plats, et à chaque mets que premier service en correspond un au second service : Premier Service 2 Potages 1 Grande Entrée 2 Plats moiens d'Entrées 4 Hors-d’œuvre Second Service 2 Plats de rôts 1 Grand Entremets 2 Plats moiens d'Entremets 4 Hors-d’œuvre Soit 9 plats à chaque service, mais deux points sont importants à noter :
  • On picore les plats plus qu'on ne les finit vraiment.... "Qui ne gaspille pas n'est qu'un manant ou un boutiquier".
  • Le découpage des plats n'en tire pas vraiment l'essentiel ; il relève plus d'une cérémonie, du rituel d'une société dans laquelle le maniement des armes est un symbole de classe (noblesse d'épée). Du Moyen-age à la Renaissance, le découpage revient à "l'Ecuyer Tranchant", un gentilhomme qui ne remplit cette fonction que l'épée au côté. A partir du XVIIe siècle, le découpage est assuré par le maître de maison, mais celui-ci peut le laisser faire par un invité de marque qu'il souhaite honorer.
  • Le repas "à la française" est doublement symétrique : symétrie des services et symétrie de la disposition des plats sur table : de part et d'autre de la pièce centrale, la plus importante en volume, se répartissent les autres plats dont le volume varie de façon inversement proportionnelle à leur position par rapport au centre de la table.
  • Cette méthode service, avec sa multitude de plats en trois vagues, laisse libre cours au désir de chacun ; cependant, l'accès aux plats n'est pas toujours véritablement direct ou immédiat. A l'organisation de la table correspondent des plans de répartition des convives autour de celle-ci. Sur la table, il y a des places privilégiées, et d'autres qui relèguent leurs occupants loin des plats les plus convoités.

  • Une fois placé, chaque convive peut facilement entrer en communication avec ses voisins ou ceux qui font face (sauf 4 et 10). Les places 1, 2, 6, 7, 8 et 12 peuvent demander directement à 5 personnes ; les places 3, 5, 9 et 11 à 4 personnes, alors que les places 4 et 10 ne peuvent, pour leur part, communiquer qu'avec 2 personnes.
  • Le service à la française conforte donc le pouvoir du puissant, celui qui est bien placé, et le plus faible s'affaiblit encore... Le service à la française est le reflet de la société au pouvoir au XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle.
  • Sil lui arrive de présider des tables servies à la française, Louis XIV mange d'ordinaire tout seul. Tout seul ... ou presque, car une véritable ruche s'affaire autour de lui ; la brigade est organisée sur le mode militaire :
Grand Maître la Maison du Roi
Grand Panetier - Grand Échanson - Grand Écuyer Tranchant
Gentilshommes servants
·         Ce sont exclusivement de nobles gentilshommes à qui revient l'honneur envié (et rémunérateur "Qui peut approcher ainsi le Roi tous les jours est une Puissance" ) de proposer au Roi les mets et les vins composant son repas.
  • Au service de la noblesse, il y aura longtemps des brigades très importantes (maître
  • d'hôtel, écuyer tranchant, officier de cuisine, écuyer de cuisine, laquais, ... ), mais leur rôle ne se limite qu'à dresser, desservir, resservir les assiettes au rythme des services.
  • Pendant les services, ils débarrassent les assiettes sales - on change d'assiette à chaque mets, et de couvert à chaque service - et ce n'est donc pas le valet qui sert, mais bien le convive, et plus encore l'amphitryon qui peut passer tout le repas debout, distribuant ça et là bonnes grâces ... et bons morceaux.
  • Les valets peuvent éventuellement servir d'intermédiaires entre les convives pour faire circuler les plats, surtout lorsqu'on est délaissé par l'amphitryon, mais se faisant, on manifeste d'autant plus clairement son exclusion du groupe.  Le grand jeu social de service se déroule à table, et les valets en sont exclus "leur service se borne à la circulation des assiettes" (Grimod de la Reynière).
  • Au fur et à mesure que la Révolution approche, leur présence se fait de plus en plus pesante : ils deviennent la mauvaise conscience d'une classe tout entière vouée à l'oisiveté et au plaisir.

Le Grand Service à la Russe

Grimod de la Reynière (1758-1837), grâce à ses "Almanachs gourmands" et ses jurys dégustateurs, pose les bases d'une autre révolution : ce n'est plus tout à fait le gastronome qui est au centre du repas, mais bien plutôt l'aliment.
Dès lors, il n'est plus possible d'entasser une multitude de plats sur la table ; ils devront arriver les uns après les autres, pour être dégustés à leur plénitude.
Mais il ne s'agit encore, à cette époque, que de découper et dresser en cuisine les plats chauds qui seront ensuite apportés aux convives, qui se serviront eux-mêmes dans le plat qu'on leur présentera. Voilà qui ressemble fort à ce que l'on appelle aujourd'hui "service à la française".
Les grosses pièces, difficiles à faire passer autour de la table, puis par extension tous les autres plats, seront, par la suite, servis à partir d'un guéridon placé à la vue des convives. Cette révolution ne sera vraiment acquise que vers 1880.
Mais la Révolution ayant eu pour effet de mettre à la rue le personnel de la noblesse, quelques cuisiniers, très vite de plus en plus nombreux, vont devenir les premiers "restaurateurs". Or, comment servir "à la française" un repas s'il n'a pas été commandé au préalable, et pour un nombre de convives suffisamment important.
Dès lors, il existe bien deux mondes gastronomiques ; celui des restaurants, où l'on sert plat à plat, et celui des hôtels particuliers où se met en place une sorte de compromis entre les deux techniques, une espèce de service bâtard.

Le restaurant, lieu de pédagogie

Le spectacle n'est plus sur la table, mais sur la scène, pardon sur le guéridon.
C'est ainsi qu'apparaissent les grandes figures de la salle : Albert chez Maxim's, Frédéric à La Tour d'Argent.
Si les cuisiniers ont fait naître la restauration,
c'est au talent des maîtres d'hôtel qu'on doit son développement.

Comme la cuisine, dont le vocabulaire se normalise sous l'impulsion d'Auguste Escoffier (1846-1935), le service voit ses règles se complexifier à régal. Le matériel de service se multiplie et se spécialise : couvert à poisson, à entremets, fourchette à huître, à tarte, cuiller à dessert, à glace, assiette à pain, à entremets, à salade, ...
La table, que l'on pensait voir se vider en changeant de service, se charge de matériel, réparti en éventail face à chaque convive ; l'égalitarisme et l'individualisme se confirment.
Et aujourd'hui ?
Le XXe siècle ne va pas apporter de grands changements dans les techniques de service, et les sous-catégories du "servie à la russe" (à la française, à l'anglaise et au guéridon) restent inchangées.
Seule la montée de l'individualisme va pousser le chef de cuisine à abandonner le plat pour dresser "à l'assiette", et les assiettes de dégustation et autres farandoles de desserts apparaissent bien comme une formidable réactualisation, sous une forme individualisée, du picorage du Grand Service à la Française".

COUTEAUX FOURCHETTES etc…

Le couteau a été très longtemps un objet personnel que l'hôte n'était pas tenu de fournir. Les Anciens apportaient leur couteau à table.
Au Moyen-age, on portait le couteau à la ceinture, dans une gaine de cuir dont la forme était différente selon les saisons. Il y avait alors une grande variété de couteaux : pour trancher la viande, désosser la volaille ; pour casser les noix, le cervoir ; surtout des couteaux à pain, part-pain, taille-pain, souvent engainé avec le couteau à tranchoir.
Sur la lame des couteaux de monastère était gravées la musique et les paroles du Bénédicité et des Grâces. Il était de mauvais goût à cette époque d'offrir des couteaux. C'est ce que dit, en 1460, "l'Évangile des Quenouilles" ; "celui qui estrennes sa dame par amour, le Jour de l'An, de couteau, sachez que leur amour refroidira."
Les manches des couteaux changeaient de couleur selon la période liturgique : ils étaient noirs pendant le Carême bien sûr, blancs à Pâques, mi-blancs mi-noirs à la Pentecôte.

Philippe Erlanger précise que cet usage subsistait sous Henri IV : les couteaux - on en fournissait trois à table pour tous les convives - étaient en ébène pendant le Carême et en ivoire à Pâques.
Il fallait prendre grand soin des couteaux. Rangés dans du son, ils devaient être utilisés pour la table seulement, et ne pas, comme on le voyait trop souvent dans les maisons négligées, "voleter de la salle à la cuisine, de la cuisine à la chambre, et de la chambre à l'écurie", lit-on dans "l'Art de bien traiter", de L.S. Robert, paru en 1674.
Comment faut-il tenir son couteau à table, à la française ou à l'anglaise ? Lors d'un banquet de l'Institut, une dame posa la question à Henri Poincaré :

- Quel est votre avis, monsieur l'académicien, sur la façon de tenir son couteau ?
- Mais, madame répondit le savant légèrement étonné, je le prends par la manche

Les ancêtres de la fourchette furent de simples crocs en métal chez les Égyptiens, qui servaient plutôt à la cuisine qu'à table, pour saisir les morceaux de viande dans les chaudrons.
Les premières fourchettes véritables viennent de Venise, inventées peut-être par une princesse grecque, épouse du doge Domenico Silvio. Elle faisait sensation et scandale en mangeant "au moyen de petites fourches en or et à deux dents".
On trouve une autre fourchette en or, en 1328, dans l'inventaire de la reine de Hongrie. Elle ne servit dans doute à rien, car le Moyen-Age n'employa jamais de fourchettes que pour piquer les viandes, quelques fruits confits chez les reines ou "faire des rosties pour le Roy".
De Venise, la fourchette parvint à Florence, chez les Médicis ; cela n'empêchait pas la reine Catherine de Médicis, très gourmande d'ailleurs, de manger avec ses doigts, peut être, tout au plus, se servait-elle de doigtiers pour les plats très chauds.
Henri III, revenant de Pologne où il avait été roi, redécouvrit la fourchette à Venise et s'en engoua. La mode extravagante des collerettes géantes, les "fraises", s'en mêla : on trouva commode, pour ne pas se tacher d'utiliser des fourchettes vénitiennes aux longues dents pointues.
C'est au restaurant de la Tour d'Argent que pour la première fois apparut la fourchette en public.
Un gentilhomme béarnais l'a conté : "mon étonnement fut grand quand je m'assis à la table près de riches cavaliers. Je vis la table garnie de serviettes, de nappes et de victuailles, le pain bis blanc était tout entier et sans nulle miette, et je vis même qu'à l'exemple des rois on nous changeait de serviette suivant les services. Je fis comme mes camarades et le l'ai nouée autour du cou pour préserver ma collerette tuyautée.

Pendant que je dévorais une galimafrée, j'observais quatre gentilshommes qui ne touchaient jamais la viande avec leurs mains, mais avec des fourchettes. Ils la portaient jusque dans leur bouche en allongeant le col et le corps sur leur assiette. Ce fut un plaisir pour moi... Mais il y en avait qui n'étaient pas si adroits qu'ils laissaient tomber la moitié pendant le chemin qu'ils mettaient à leur bouche... ".
Cette innovation surprit la plupart. On se moqua des fourchettes, les trouvant aussi ridicules qu'encombrantes. Et Montaigne prétendra se passer de cette nouvelle mode : "je disnerois sans nappe, mais à l'allemande, sans serviette blanche, très incommodément... et m'ayde peu de cuiller et de fourchette ... Je mords parfois mes doigts de hativité."
Il faut attendre la fin du XVIIe siècle pour voir s'acclimater la fourchette qui d'ailleurs se transforme : elle a bientôt quatre dents et non plus deux comme l'ancienne fourche en miniature. Mais certains ignorants utilisaient la fourchette d'une toute autre manière que celle prévue dès cette époque par les manuels de savoir-vivre : ils l'employaient par exemple tout bêtement pour se curer les dents.
Louis XIV, si "bonne fourchette" fut-il, mangeait avec les doigts et très élégamment, selon Saint-Simon, au contraire du chancelier Séguier qui "faisait une sorte de capilotade des plats qu'on lui servait, et se lavait les mains tout à son aise dans la sauce". Quand on partait en voyage, il valait mieux emporter son couvert, c'est ce que dit Regnard dans sa relation d'un voyage en Pologne en 1681 : "Il ne faut pas manquer d'avoir son couteau et sa fourchette dans sa poche, car autrement on risque de se servir de ses doigts." Les Anglais d'ailleurs se moquaient des Italiens et des Français et de leur manie de fourchette. Quant aux Chinois, d'aucuns prétendent que s'ils mangent avec des baguettes, c'est parce qu'ils trouvent les fourchettes trop rapides !


Sur toutes les tables, on voit maintenant, accolées, la cuiller et la fourchette, mais on l'a vu, la première a précédé l'autre de beaucoup.
Les anciens avaient des cuillers magnifiques, les Égyptiens en bronze ou en ivoire, dont le manche était décoré d'une tête d'oiseau ; les Grecs et les Romains utilisaient aussi des cuillers ciselées, à formes différentes selon les usages : allongées, arrondies ou pointures. Les Grecs, en particulier, avaient une cuiller à œufs : ils cassaient la coquille avec l'extrémité pointue et puisaient le contenu avec l'extrémité ronde.
Si on n'avait pas encore la fourchette au XVIIe siècle, on disposait d'une cuiller personnelle.
   
Au Moyen-age, on partageait parfois la sienne avec son voisin de table. De toute façon, on ne craignait pas de plonger dans la marmite une cuiller qu'on avait déjà portée à ses lèvres. Quand il n'y avait pas de cuiller, on se servait d'une écuelle, une pour deux convives, comme d'un bol.
En argent chez les princes, les cuillers étaient quelquefois de véritables bijoux, ornées de pierres précieuses, surtout les cuillers à drageoirs qui disparurent après la Renaissance.
La Pompadour eut des cuillers en or. Le manche, d'abord petit, avait grandi ensuite, en même temps que celui de la fourchette, sous Henri III, quand la mode des vastes "fraises" autour du cou allongea considérablement le va-et-vient entre la table et la bouche !




Les Anciens apportaient leur serviette à table, mais plutôt qu'à s'essuyer la bouche, elle leur servait à emporter les restes et parfois, quand l'hôte était fastueux, les cadeaux qu'il leur faisait, vases précieux, coupes, etc. Plus tard, les Romains eurent le sudarium autour du cou pour d'éponger et les esclaves qui circulaient avec les aiguières des ablutions proposaient également des serviettes d'abord en coton puis en lin. A la fin de l'Empire, les serviettes romaines devinrent luxueuses, en toile dorée ou peinte, si belles que parfois les invités les volaient !
Les Spartiates s'essuyaient avec la mie du pain, les apomagdalies, morceaux de pâte ; les Celtes avec leur siège qui n'étaient autre que des bottes de foin.
Dans les premiers siècles du Moyen-age, on utilisait le pan de la nappe ou plus simplement encore le revers de la main. Aux XIIIe et XIVe siècle, les serviettes étaient parfois accrochées à la muraille, comme des torchons, et les convives venaient s'y essuyer la bouche deux fois, avant et après le repas.

Plus tard, on prit l'habitude de changer de serviettes à chaque service. Les premières serviettes rudimentaires furent des tissus de laine, puis vinrent celles en toile, fabriquées d'abord à Reims. On la porta sur le bras ou sur l'épaule.
L'habitude de la nouer autour du cou date de la mode des "fraises", énormes collerettes très fragiles du siècle d'Henri III, qu'il fallait protéger des taches. C'était d'ailleurs difficile, surtout quand la fraise était particulièrement encombrante, et de là vient l'expression "Il n'arrive pas à joindre les deux bouts". On a vu que c'est aussi un peu aux fraises que l'on doit aussi les fourchettes.
Au XVIIe siècle, avec la disparition de ces cols monstrueux, l'élégance à table exigea au contraire qu'on cessât d'attacher sa serviette derrière le cou, pour la poser, comme aujourd'hui, sur les genoux. Elle devait être immaculée, d'où la nécessité d'une autre serviette à chaque service. Nouvelles fantaisies de la serviette au XVIIIe siècle : les pliures. Les formes qu'énumère Grimod de la Reynière ne reculaient devant aucune excentricité


Le mot a pour origine une tradition très ancienne. Lorsque l'on recevait son suzerain, on couvrait tous les plats, les drageoirs, les pots à épices, même les verres. On l'honorait ainsi en lui montrant qu'on avait pris toutes les précautions nécessaires pour lui éviter d'être empoisonné ! On commença d'abord par dire servir à couvert, pour mettre le couvert.
Aujourd'hui, le couvert ne comporte en général, que les accessoires de la table.
Autrefois, le couvert était mis également sur le buffet ou dressoir, qui avait une grande importance dans le déroulement du repas. Le dressoir était revêtu d'une grande nappe qui retombait jusqu'au sol. On en nouait et retroussait les bouts. C'est là qu'on disposait les bassins d'argent, le vinaigrier, les piles d'assiettes en réserve, les serviettes supplémentaires en cas d'hôtes imprévus, les verres de rechange renversés sur des soucoupes d'argent, les carafes de vin et d'eau. Les boissons, en effet, n'étaient pas servies à table. Il fallait, même dans les maisons bourgeoises, demander à boire au valet. En principe, celui-ci apportait alors au convive l'eau et le vin.
Grimod de la Reynière, qui déplore le désastreux effet des idées nouvelles sur le service de table, se plaint que, déjà quinze ans avant la Révolution, les laquais avaient pris la fâcheuse habitude, pour se simplifier la tâche, de faire eux-mêmes le mélange.
Le dressoir, au Moyen-age, était un véritable meuble d'exposition. Non seulement on y étalait, les jours de réception, la vaisselle précieuse, mais aussi les bijoux qui appartenaient à la famille. Pour enrayer les vanités, la dimension et le nombre des étagères étaient limités, comme nous le voyons dans "l'Histoire pittoresque de notre alimentation" : "Un prince souverain ou une reine a droit à cinq, un comte ou une comtesse à trois, un chevalier à deux".
Dans tout ce déploiement de faste, il y a avait aussi le "pot à aumône", en argent, où les convives du repas devaient déposer leur obole.
Les accessoires de la table proprement dite ont évidemment varié au cours des siècles.
La cuiller est très ancienne, puisque la bouillie, le potage qu'elle a toujours accompagnés le sont aussi.
Le couteau remonte loin également comme le vase à boire, sous toutes ses formes : corne, hanap, coupe, verre.
Les assiettes ont remplacé assez tard le tranchoir et l'écuelle, le linge a subi des éclipses, quant à la fourchette, elle fut longtemps considérée comme superflue.
Le centre de la table fut toujours l'objet de tous les soins. Longtemps, c'est la nef qui l'occupa. On l'appelait aussi cadenas, car elle était fermée à clé. Elle servait à ranger les ustensiles du couvert. Plus tard, on y disposa les condiments nécessaires au repas : poivre, sel, épices, moutarde, vinaigre, huile. Toujours en argent, parfois en or ou en vermeil, elle avait la forme d'une nef, d'où son nom, mais parfois aussi celle d'un meuble, d'une forteresse. Il lui arrivait de servir en même temps de coffret à musique ou à automate. La nef qui, selon Havard, avait un sens symbolique, par allusion à la forme même de l'église, aux nefs à reliques, contenait également les talismans, cornets de licornes, langues de serpent, dont les valets se servaient pour essayer les aliments. Les vivres suspects ou empoisonnés changeaient de couleurs ou bien des gouttes de sang en coulaient.

La nef fut très à la mode au Moyen-age, chacun avait la sienne, plus ou moins précieuse, on offrait des nefs aux souverains ou aux princes de passage dans une ville.
Une autre coutume de cette époque consista à place sur la table ou dans la salle du banquet une fontaine automatique de vin ou d'eau aromatisée. Ainsi, au mariage de Philippe le Bon, en 1430, une fontaine de pierre en forme de lion fut dressée, qui "pissait vin vermeil" dont buvaient ceux qui voulaient, ou ceux qui pouvaient. Au fameux banquet du Faisan, en 1453, il y eut également un "petit enfant tout nu qui pissait eau de rose continuellement et une moult belle fontaine". Ensuite, la nef s'est métamorphosée, elle est devenue le très bourgeois "surtout" que les maîtresses de maison garnissent de fleurs, de fruits, certaines, excentriques, de légumes. Son rôle est purement décoratif, mais pas toujours du goût des convives, si l'on en croit tout au moins Léon de Fos, poète gastronome : "Surtout chargé de fleurs déplaît au vrai gourmand, Du modeste hors-d'œuvre il envahit la place, Et dérobe à nos yeux, inutile ornement, Le jeune et frais minois qu'on peut avoir en face".
Une mode de décoration de table avait fait fureur sous Louis XIV, les sablés de dessert. Selon Grimod de la Reynière, les premiers plateaux sablés apparurent au mariage de Louis XV en 1725. Grimod de la Reynière cite un "artiste" de son temps, Dutfoy, qui "construit des palais quand ses prédécesseurs faisaient seulement des vergers et des gazons, avec colonnades, entablements chapiteaux, frontons, architraves, corniches, selon les principes de l'art et l'on peut apprendre la mythologie en admirant ces surtouts". Non seulement Dutfoy construisait d'admirables décors de table, mais encore il y faisait des feux d'artifice. On allumait une mèche soigneusement cachée et le temple se couvrait de "feux odorants et de toutes couleurs, cent gerbes s'élançaient jusqu'au plafond". C'était l'époque où les chevelures des femmes se couvraient de fleurs, de jardins, parfois de parcs miniatures. Cette folie se retrouvait sur les tables. Comme nous le raconte Charles Kunstler, on jonchait les nappes de fleurs, ou on les fixait sur un bloc de glaise. On arrivait à reproduire de petits paysages de neige, habités de figurines en pâte d'amidon, sous l'effet de la chaleur des plats, le givre artificiel fondait pour faire verdir les arbres, épanouir les fleurs, couler de minuscules rivières. Les sableurs traçaient des dessins sur les nappes avec de la poudre de marbre, dur verre pilé, du sucre en poudre.
Aujourd'hui, le couvert désigne l'ensemble de ce qui est nécessaire à chaque convive. On se contente de couteaux, fourchettes cuillers à potage et à dessert. Au début du siècle, il y avait encore des cuillers à compotes, à fraises, à œufs, à sucre. Le porte-couteau, jadis en cristal, en argent, à tête de serpent, d'éléphant, de chien, tend à disparaître, avec les facilités de blanchissage des nappes. En Angleterre, où il n'existe pas, on croise le couteau et la fourchette sur l'assiette.
On ne peut quitter le couvert sans évoquer la "mécanique" de Versailles et le sens, tout autre alors, du mot : Saint-Simon distingue les trois "couverts", choisis au gré du Roi, le grand, le petit et le très petit, qui comportait tout de même trois services. Le repas de 13 heures était toujours petit ; le Roi mangeait

Voici la liste des documents qui ont servi de base à mon travail de compilation. J'ai tenté d'en retirer les éléments les plus marquants, mais une lecture complète de ces différents ouvrages reste indispensable.
Bravo et merci à tous ceux qui ont travaillé sur ce sujet....
ARON Jean-Paul
Le Mangeur du XIXe siècle
Ed. Robert Laffont, 1973
CASTELOT André
L'Histoire à Table
Ed. Perrin, 1979
GUY Christian
Almanach Historique de la Gastronomie en France
Ed. Hachette, 1981
GUY Christian
Histoire de la Gastronomie en France
Ed. Nathan, 1985
GUY Christian
Une Histoire de la Cuisine Française
Ed. Les Productions de Paris, 1962
HINOUS Pascal - MAILLARD Jacqueline
Histoire de Table
Ed. Flammarion, 1989
MOULIN Léo
Les Liturgies de la Table
Ed. Albin Michel, 1989
NEIRINCK Edmond  POULAIN Jean-Pierre
Histoire de la Cuisine et des Cuisiniers
Ed. Jacques Lanore, 1988
POULAIN Jean-Pierre
Anthroposociologie de la cuisine et des manières de table
Thèse pour le doctorat de sociologie, Université de Paris VII Jussieu, 1985
RIVAL Ned
Grimod de la Reynière, le gourmand gentilhomme
Ed. Le Pré aux Clercs, 1983
SOBELMAN Bernard
Maître d'hôtel, la carte !
Ed. Olivier Orban, 1987



Jusqu'à la fin du XIXe siècle, on pratiqua le "service à la française", c'est à dire que le repas comportait un grand nombre de plats. Tous les plats du premier service, des potages aux rôtis, étaient posés sur la table avant l'arrivée des convives, et ceux-ci choisissaient dans l'ordre qu'ils voulaient les plats qu'ils désiraient. Les valets les servaient. Cette méthode, si elle avait l'avantage de la magnificence, et si elle stimulait le goût des cuisiniers pour la présentation artistique des viandes, avait aussi beaucoup d'inconvénients. D'abord, il fallait de très grandes tables, car les plats étaient très nombreux : chez Talleyrand, il y eut des premiers services de trente-deux et parfois quarante-huit entrées différentes. De plus, la pièce montée, très volumineuse elle aussi, occupait le centre de la table du début à la fin du repas. En outre, il fallait beaucoup de laquais pour satisfaire au désir des convives, qui risquaient d'ailleurs de ne pas obtenir le plat convoité et surtout de manger froid.

Tout changea à l'arrivée, en 1810, du prince Kourakine, ambassadeur de Russie. Chez lui, on servait les plats suivant un ordre successif et fixé à l'avance. Cela entraîna plusieurs conséquences gastronomiques : on put enfin manger chaud, on mangea exactement la même chose que son voisin de table, donc aucune jalousie refoulée, mais aussi on dut manger ce qui vous était présenté et cela créa sans doute un nouveau savoir-vivre à table.
Autrefois, on esquivait plus à loisir ce qui vous inspirait de la répugnance. Depuis l'arrivée de Kourakine, c'est impossible !
Cela entraîna aussi la disparition de ces menus gargantuesques, et la dégradation d'une certaine idée de la cuisine qui remontait au Moyen-Age. Seul le dessert demeura sur la table, il a été éliminé ensuite, remplacé par des fruits, puis par des fleurs.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Historique de l'Ecole d'Hôtellerie & de Tourisme de la ville de Liège

En prévision d'Haloween

Halloween !!!